La communauté comme soutien de la mission
« La communauté comme soutien de la mission »
Tout en remerciant les membres du Comité directeur pour l’invitation qu’ils m’ont adressée, permettez-moi de relire autrement le thème de mon intervention en ces assises : « Rapport entre vie communautaire et activité apostolique.» En effet, à travers ce thème, l’on voudrait bien comprendre les rapports existant entre la vie fraternelle en commun et la l’activité apostolique, c'est-à-dire la mission…
Ces
rapports, en particulier, dans les Institutions vouées aux œuvres apostoliques,
n’ont pas toujours été clairs et ils ont souvent causé des tensions personnelle
et communautaire… Pour quelques-uns, la vie de communauté est ressentie comme
un obstacle, presqu’une perte de temps dans des questions plutôt
secondaires ; pour d’autres, la dimension communautaire est essentielle
oubliant que la communauté est en elle-même une mission.
Il
ne s’agit pas de privilégier un aspect, soit la communauté, soit la mission, au
détriment de l’autre, mais de considérer les deux aspects dans un rapport
indispensable et inséparable. Ainsi se comprend mieux le l’expression
« soutien ».
Avant
d’analyser ce rapport d’interdépendance entre la communauté et la mission, il
est bon de revenir sur certains éléments :
Communauté
Lorsque
l’on parle de communauté, on voit un nombre de personnes avec une identité
particulière issue de la profession des conseils évangéliques, par des vœux ou
autres biens sacrés, menant une vie d’ensemble, vie commune dans une même
maison érigée canoniquement par l’autorité compétente (can. 608). À l’élément
« vie commune » s’ajoute l’élément « fraternelle » pour
faire « vie fraternelle en commun (can. 607, §2). Le can. 602 dispose
que : « la vie fraternelle est une famille particulière unie dans le
Christ… »
La
vie fraternelle des religieux, à laquelle il faudra ajouter l’élément
« commune » comporte deux éléments fondamentaux :
-L’incorporation :
Elle consiste à la renonciation à la vie individuelle et indépendante, et à
l’adoption d’un style de vie communautaire stable ;
-La
cohabitation : Elle est le fait de demeurer ensemble, sous un même toit,
avec un régime communautaire de vie, d’habiter dans une maison.
Parler
de la communauté, de la vie commune, de la vie fraternelle, de la communion, de
la vie fraternelle en commun, c’est parler de « vivre ensemble » avec
les caractéristiques ci-après: la fraternité, la stabilité, la responsabilité,
la valorisation.
Mission
Pour
mieux comprendre la mission d’un Institut religieux, il faudra encourager la
connaissance du P. Fondateur. En effet, le can. 578 stipule que c’est le
fondateur qui détermine, dans sa pensée et son projet, la nature, le but, le
caractère, l’esprit de l’Institut.
En
rapport au but, il faut distinguer le but général du but particulier. Le but
général, qui est commun à tous les Instituts, consiste dans la gloire de Dieu
et le salut des âmes… Mais le but particulier est la tâche spécifique que
l’Institut a pour le peuple de Dieu : dans le domaine de l’éducation, de
la santé, de la promotion de l’homme dans les différentes œuvres de miséricorde
spirituelle et corporelle.
La
mission est donc la contribution de l’Institut à la mission de l’Église (can.
574). Cette mission n’est rien d'autre que son apostolat
La
communauté comme soutien à la mission sera analysée en cinq points.
1.
La communauté est la source de la mission
Le
signe par excellence laissé par le Seigneur est celui de la fraternité
vécue : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes
disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres (Jn.
13,35 ; VF. n° 54). Comme l’Esprit Saint a oint l’Église au Cénacle pour
envoyer évangéliser le monde, ainsi chaque communauté religieuse, authentique
communauté animée par l’Esprit du ressuscité est apostolique selon sa nature
propre…
La
communauté engendre la communauté et se présente essentiellement comme
communion missionnaire. La communion et la mission sont mutuellement unies
entre elles, elles se compénètrent et s’impliquent mutuellement, au point que
la communion représente une source et à la fois le fruit de la mission :
la communion est missionnaire et la mission est pour la communion. Il s’agit de
faire de la communion le contenu de la mission.
La
communauté religieuse, y compris celle qui est spécifiquement contemplative,
n’est pas repliée sur elle-même, mais elle se fait annonce, diaconie,
témoignage prophétique. La communion doit inspirer et animer tous les rapports
des membres, les poussant à aller à la recherche de l’humanité sachant que nous
allons dans un monde que Dieu a tant aimé qu’il a donné son Fils unique pour
que les hommes aient la vie en plénitude
La
communauté est source pour la mission parce qu’un Institut religieux vit et
existe par les communautés qui sont appelées à être des signes de
réconciliation universelle (can. 602). En effet, la communauté est une nouvelle
pour le monde. Elle est appelée à témoigner ce qu’elle est, c'est-à-dire
la communion. Manifester la communion devient ainsi une mission pour la
communauté fraternelle et unie.
2.
La communauté est la base pour la mission
efficace
Si
la communauté-source nous conduit à l’origine de la mission, la communauté-base
renvoie au lieu de la préparation de la mission et des agents en vue de la
mission. Ces agents sont des religieux dont l’identité s’élabore et se façonne
non seulement à partir d’une vocation mais aussi à partir d’une convocation.
Les conseils évangéliques professés à travers les vœux publics temporaires ou
perpétuels façonnent l’être et lui impriment un caractère et lui confère une
identité.
La
communauté est indispensable à la mission dans ce sens qu’elle valorise la vie
de la communauté dans laquelle les membres se prennent en confiance en
s’acceptant dans leurs qualités, mais aussi dans leurs limites. Elle devient
ainsi une vraie base préparant les membres au front de la mission.
La
spiritualité de communion devient l’élément essentiel de la réussite de la
communion-base. Elle consiste avant tout en un regard du cœur porté sur le
mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière sera perçue sur le
visage des frères qui sont à nos côtés. Cette spiritualité veut dire en outre
la capacité d’être attentif, dans une unité profonde du Corps mystique, à son
frère dans la foi, le considérant donc comme « l’un des nôtres » en
sachant : partager ses joies et ses souffrances, deviner ses désirs et
prendre soin de ses besoins, offrir une amitié véritable et profonde.
La
spiritualité de communion est également la capacité de voir surtout ce qu’il y
a de positif dans l’autre, pour l’accueillir et le valoriser comme un don de
Dieu (RDC, n° 28 – 29).
Dans
une vie communautaire où se pratiquent la politisation de la vie religieuse
avec des astuces et intrigues qui ne peuvent se comprendre que dans la vie
mondaine : la guerre du positionnement, le trafic d’influence, la traque
des ennemis par des lettres anonymes, les coups de fil (téléphone) et messages
(sms) injurieux anonymes ou par des personnes interposées, la course au pouvoir
et aux charges lucratives, la folies des grandeurs et les ambitions démesurées,
le recours aux pratiques occultes (fétiches) pour se protéger contre les
ennemis ou pour réussir à gagner un poste ; le recours aux pratiques
proches des sectes, l’identification sur base des origines linguistiques
(tribalisme) et territoriales (régionalisme) entraînant une vraie méfiance
entre les personnes et la crainte de l’empoisonnement, les soupçons; dans
une telle communauté la mission sera
moins efficace.
3.
La communauté est la garantie pour une mission
authentique
La
normative canonique exige une fidélité à la mission primitive et aux œuvres
propres de l’Institut, cependant eu égard aux besoins de temps et de lieux, des
adaptations prudentes sont de mise en usant même de moyens opportuns et
nouveaux (can. 677). La fidélité à la mission primitive exige une vraie
protection sinon les risques d’une éventuelle déviation sont possibles.
Les
personnes consacrées sont appelées à vivre la communion dans un monde aimé de
Dieu, mais qui se caractérise en même temps par des phénomènes extrêmement
contradictoires. Dans ce monde globalisé, tout est interconnecté et l’humanité
est confrontée aux grands problèmes du pluralisme, de l’indépendance, de
l’altérité qui sont une source de violence, d’hospitalité ou d’exclusion…
Personne ne pourrait nier que le monde d’aujourd’hui est fragmenté, en proie
aux conflits entre groupes ethniques, nationalités, cultures, religions et
philosophies de la vie. L’incapacité d’affronter la différence autrement que de
façon hostile et violente détruit les familles, les cultures, les sociétés et
même notre planète.
Nous
vivons dans un monde qui a fait des pas de géant pour ce qui est d’intervenir
sur la matière et la manipuler. Nous sommes capables d’enregistrer une infinité
de données sur de minuscules supports et d’intervenir sur la structure des
cellules pour modifier leur code génétique. Il ne se passe pas un jour sans
qu’un nouveau produit technologique plus performant que les précédents soit mis
au marché.
Pour
exercer une mission dans un monde en perpétuelle mutation, les personnes
consacrées sont invitées à plus de communion (vie commune) pour la réussite et
l’efficacité de la mission. Nous savons que là où il y a la communion, il y la
vie. Les consacrés sont appelés à faire de la communion le fondement même de
leur mission.
Il
n’est pas facile d’assurer une mission dans un monde marqué par des
différences, un monde d’égoïsme, d’injustice, de haine et renversement des
valeurs. En prenant appui sur la vie de communauté, les consacrés seront un
vrai signe de contradiction pour cette humanité à la recherche de repères.
C’est de ce signe prophétique garanti par une vie dans la communauté que le
monde a le plus besoin.
Pour être ce signe prophétique, signe de différenciation, il faudra, dans les communautés, que se vive une vie saine, que ses membres adoptent un style de vie plus simple et qu’ils soient proches des gens, qu’ils changent les méthodes apostoliques. Ainsi seulement, leur témoignage se purifiera et deviendra compréhensible.
4. La communauté est une aide pour la mission fructueuse
Une chose est sûre, la
communauté reste une aide pour que le membre ne puisse pas s’approprier de la
mission et en faire une « chasse gardée » et faire des œuvres
missionnaires qui lui sont confiées « un bien personnel ».
La
communauté rappelle à ses membres qu’ils doivent prendre soin de leur chemin de
foi personnel au milieu des agitations apostoliques. La communauté aide les
membres dans leur apostolat en les rappelant constamment la nécessité de se
recentrer sur le Christ dans la contemplation.
La
communauté aide la mission dans ce sens qu’elle convoque les membres à des
moments de rendez-vous où ceux-ci peuvent partager leur expérience de foi dans
la mission.
La
communauté est une aide pour la mission parce qu’elle conduit ses membres à
relativiser l’urgence et l’importance apostolique de leurs tâches. En effet,
par l’intermédiaire des confrères, on est mis en contact avec d’autres projets
et d’autres urgences. La communauté qui ne cesse d’accompagner ses membres dans
la mission est pleine de tout un potentiel d’enrichissement grâce à une vie
apostolique connue et partagée. On est sensibilisé par les autres à des
problèmes, des contextes et des personnes qui ne sont pas directement en lien
avec ma mission, mais qui savent éclairer sur des aspects susceptibles
d’étendre sa portée.
Être
mis au carrefour de ce monde par les frères et sœurs de la communauté pour la
mission est une « chance ». Avec les contacts communautaires arrivent
aussi des questions essentielles dont la vie apostolique a besoin pour savoir
ce qu’elle doit dire et faire pour aider les âmes plus efficacement. La portion
de réalités que chacun de mes confrères me donne à connaître dans sa vie
apostolique fait émerger des éléments qui nuancent, complètent, corrigent ce
que l’on peut sagement accueillir et accepter dans le domaine apostolique. Il
est vrai que c’est dans la communauté que les consacrés apprennent la réalité
apostolique dans sa riche complexité.
Aucune
mission particulière ne peut se nourrir d’elle-même. La communauté est une
condition qui rend possible l’action apostolique. Elle constitue en quelque
sorte le lieu d’un envoi au quotidien. La présence des frères et sœurs dans la
communauté témoignent que tous sont concernés par la mission. Les confrères
prennent la responsabilité de soutenir chacun dans sa mission et ils peuvent
apporter un éclairage sur la meilleure façon de la mener à bien.
La
façon dont chaque consacré vit la dimension apostolique est fortement
influencée par le rapport communautaire. Tout moment communautaire est bon pour
la mission.
5.
La communauté accompagnatrice de la mission
L’accompagnement
est une réalité anthropologique et un fait démontré par l’expérience
quotidienne qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn. 2, 18). Toute
personne humaine a besoin d’être et de se sentir accompagnée tout au long de
son existence, à partir de la naissance jusqu’à la mort et cela est peut-être
davantage vrai quand il s’agit d’une personne qui choisit pour forme de vie, la
vie religieuse qui, de part sa nature, est complexe et se présente comme
« forme d’anomalie ». Parlant des personnes consacrées, un auteur a
écrit sur « Ces fous de Jésus-Christ » et un autre parle
de « Ces inutiles ».
Toute
personne a besoin du soutien des autres, parce qu’elle a besoin de leur
affection, et que vivre seul, c’est vivre marginalisé et appauvri. Le
rapprochement avec les autres rend sain. La vie des personnes est soumise à des
processus, à des crises, à des évolutions idéologiques, à des questionnements
de foi, à de nouvelles exigences fondamentales, à un sentiment de malaise à la
suite des insatisfactions pastorales, à des difficultés de vie en commun dans
le cadre de la fraternité institutionnelle.
Les
religieux ne sont pas exemptés de ces aspects et le besoin de l’accompagnement
devient une nécessité indispensable surtout dans le secteur apostolique
lorsqu’on se trouve confronté aux doutes, aux échecs, aux difficultés de toute
sorte, au manque de moyens suffisants, aux incompréhensions, à la concurrence,
à l’incompétence des collaborateurs, aux problèmes de la santé. Il est à noter
que toute action apostolique comporte une croix. Il n’y a que la vie
communautaire qui peut accompagner la vie apostolique pour éviter qu’elle
sombre.
Devant
la croix apostolique, la communauté se présente comme un rempart, comme un lieu
d’accompagnement ainsi que de ressourcement de tout genre, afin de ne pas
perdre espoir et de se décourager.
Devant
la fatigue et l’usure apostolique, la vie communautaire se présente comme lieu
de ravitaillement afin de reprendre les forces, les énergies nécessaires pour
repartir. La communauté aide à se renouveler de manière quotidienne.
La
communauté accompagnatrice rappellera régulièrement que toute activité
apostolique du religieux est d’abord une annonce de la Parole de Dieu.
Il
est bon de dire que ces cinq éléments analysés ci-haut, à savoir la communauté
source de la mission, pour montrer son lieu d’origine, car un Institut vit et
survit par les communauté ; la communauté comme base pour situer le lieu
où les agents missionnaires sont formés, avant d’aller sur le front de la
mission ; la communauté garantie qui met en exergue le sens de fidélité
face aux réalités de ce monde en perpétuelle mutation ; la communauté aide
pour démontrer l’aspect communautaire de la mission qui devra s’enrichir de
l’apport des autres membres de la communauté et pour ne pas faire de la mission
une activité privée ; la communauté accompagnatrice pour souligner le secours
que la communauté pourrait apporter à la mission face aux difficultés et
fatigues personnels dues au travail apostolique ; ces cinq éléments se
compénètrent et constituent en réalité un tout inséparable non perceptible par
nos sens.
Le risque qu’il faudrait
craindre dans ce rapport communauté-mission, inséparable et indispensable, est
de chercher à faire que l’une de ces deux obligations puisse primer sur
l’autre. Ce fait risque de constituer un véritable danger qui transformerait la
communauté dans un beau château ne se souciant que de ses membres bénéficiant
d’une retraite tranquille et, de la mission comme un travail quelconque sans
aucune référence à l’Évangile.
Conclusion
La communauté est un véritable soutien à la mission. Elle lui donne un sens. Sans ce soutien indispensable, la mission serait dénaturée et deviendrait un simple travail et non une annonce de l’Évangile. Le rôle spécifique de la communauté est celui de façonner l’identité de ses membres en les enracinant dans leur consécration. C’est seulement de cette manière que l’action apostolique jaillira de leur état de vie qui est, par sa nature, un apostolat (une mission) par le témoignage de leur vie: un témoignage de fidélité à leur état de vie manifesté par la conviction dans leur mission.
La
communauté est une mission et la mission trouve son vrai fondement dans la
communauté. Entre la communauté et la mission, il devra exister un équilibre
qui manifestera une vraie interdépendance qui est, en fait, une obligation.
Bibliographie
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4. GARCIA MARTIN J., L’azione
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5. HOUNGBEDJI R, La radicalité de la
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- S.C.R.I.S., Religiosi e
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- S.C.R.I.S., Dimensione contemplativa della vita religiosa (Roma, L.E.V. 1980).
- Vita consacrata : un dono del Signore alla sua Chiesa (Torino, Elle di ci 1993).
Prof. Gilbert Nakahosa,
Université Catholique du Congo
nakagilbe@yahoo.fr
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