Réflexion sur l'exhortation apostolique Post-synodale: Amoris Laetitia
Présentation et originalité de l’exhortation apostolique[1] post-synodale : Amoris Laetitia. Sur l’amour dans la famille
[1] Texte des 2èmes Journées théologiques
tenues du 6 au 7 avril 2017 sur "Le
mariage et la famille comme don de Dieu qui invite à la joie de l'amour",
à l’Institut de théologie saint François de Sales, Lubumbashi.
A lire aussi:
Introduction
D’un regard subtil de l’intitulé de notre intervention, il se remarque
une double démarche à entreprendre. D’une part, dégager l’intégrité doctrinale
sur la famille et le mariage dans la présentation de l’Exhortation apostolique
post-synodale Amoris Laetitia. Sur
l’amour dans la famille, publiée le 19 mars 2016 en la solennité de saint
Joseph et à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et, d’autre
part, démontrer la pointe originale du Pape François avec l’expérience de vie
qui s’inscrit dans la pastorale contextuelle et non évasive.
C’est ainsi que, pour rendre plus intelligible qu’opaque Amoris Laetitia, soyez-en rassurés, nous
pensons regrouper certains chapitres pour relever l’intégrité doctrinale et la
pastorale contextuelle :
Outre le premier chapitre : A
la lumière de la Parole (n° 8-30) qui nous sert d’introduction pour asseoir
le fondement de la famille et du mariage, l’intégrité doctrinale se structure
autour de trois chapitres. Les quatrième et cinquième chapitres abordent les
fins du mariage, dont la communauté de vie : l’amour dans le mariage (n° 89-164) et la procréation comme accueil
d’une nouvelle vie : l’amour devient
fécond (n° 165-198). Cette nouvelle vie exige une éducation responsable des
conjoints qui se concrétise dans le septième chapitre : Renforcer l’éducation des enfants (n°
259-290). Pour confirmer la doctrine défendue, nous valoriserons le troisième
chapitre qui reprend les enseignements du Magistère sur la famille et le
mariage, intitulé : Le regard posé
sur Jésus : la vocation de la famille (n° 58-88).
Afin d’arriver à une pastorale contextuelle et incarnée, Amoris Laetitia part de l’expérience de
vie qui couvre le deuxième chapitre : la
réalité et les défis de la famille (n° 31-57) pour que quelques perspectives pastorales (n° 199-258) nous soient proposées
dans le sixième chapitre, afin d’accompagner,
discerner et intégrer la fragilité (n° 291-312) qui est le huitième
chapitre. Une telle fragilité qui se vit dans le mariage et dans la famille
trouve sa réponse dans la contemplation. D’où une spiritualité conséquente,
capable de retourner l’homme fragile à Dieu (n° 313-325).
1.
Amoris Laetitia : une intégrité doctrinale
Pour ne pas fonder un discours
théologique avec des électrons libres, personne n’ignore que l’Ecriture Sainte
est la Norma normans. Le Pape n’a pas
dérogé à cette règle. C’est ainsi que, dès l’entame de l’Exhortation, il
recourt aux jalons scripturaires pour dire que la famille et le mariage sont
d’institution divine, donc une réalité sacrée. Ils ne peuvent se comprendre qu’A la lumière de la Parole (n° 8-30).
Dans un style allégorique, il
emprunte l’image de deux maisons : l’une construite sur le roc et l’autre
sur du sable (Cf. Mt 7, 24-27) pour concrétiser certaines situations. Et le
psaume 128, chant proclamé dans la liturgie nuptiale juive que chrétienne, veut
Dieu au centre de tout (n° 8). La maison sereine qui réalise ce dessein
fondamental répond à l’invitation du Christ en Mt 19, 4.
Les deux premiers chapitres de
la Genèse en font un écho percutant, lorsqu’ils décrivent l’image de la vie du
couple humain comme ce couronnement du parallélisme explicatif :
« image de Dieu » (n° 10). L’affirmation étincelante de Jean-Paul
II : « Dieu est famille » a sa raison d’être. Ainsi, la famille n’est pas
une réalité abstraite, mais « une œuvre artisanale » jusqu’à
l’éclosion d’une Eglise domestique[1] (n° 15), capable d’une
catéchèse pour la foi et d’une éducation des enfants (n° 16), qui se construit
avec tendresse (n° 28), après s’être confronté à l’expérience du péché[2] (n° 19-21). Devant cette dure
épreuve, la Parole de Dieu prend la place d’une compagne de voyage, pour
essuyer les larmes des yeux (Cf. Ap 21, 4)
(n° 22).
a. Joie de l’amour dans le mariage : communion de vie et procréation
Recourant à la théologie de la
création, le Pape présente dans une suite logique les fins du mariage,
contrairement à certaines positions antérieures : saint Augustin qui fonde
le mariage sur la justice biologique des
sexe, pour qui la procréation est le but principal et la communauté de vie,
seconde finalité, pour relever la nature
sociale de l’homme ; saint Thomas d’Aquin qui part de la loi naturelle générique comme étant la
fin première en vue de conserver l’espèce et de la loi naturelle spécifique pour fonder une société de vie, au
moyen de la raison. Disons aussi que la lettre encyclique Casti Connubii de Pie XI (31 décembre 1930) a reproduit la vision
augustinienne des fins du mariage. Ceci est contraire à l’intuition du Concile
Vatican II qui dispose les deux fins comme des équivalents[3].
-
La communauté de vie : l’amour dans
le mariage (n° 89-164)
Amoris Laetitia nous retrempe dans la création où s’aperçoit la communauté de vie comme
première démarche de l’amour dans le mariage. Le Pape prend « l’hymne à l’amour
» de saint Paul (1 Cor 13, 4-7) dans une exégèse contextuelle pour nous
découvrir certaines valeurs, pouvant permettre au quotidien de vivre dans la
joie : la patience (n° 91-92), la serviabilité (n° 93-94), le rejet de
l’envie (n° 95-96) et de l’arrogance (n° 97) pour la culture de l’humilité (n°
98), la courtoisie (n°99-100), le détachement (n° 101-102), l’agressivité (n°
103-104) qui proviendrait de nos mauvais sentiments pour être surmontés par le
pardon (n° 105-108), se réjouir du bien de l’autre pour reconnaître sa
dignité et valoriser ses capacités, grâce à ses œuvres bonnes (n° 109-110).
Toutes ces valeurs évoquées traduisent la profondeur de l’amour matrimonial en
quatre expressions verbales : excuser tout (n° 112-113), croire tout (n°
114-115), espérer tout (n° 116-117) et supporter tout (n° 118-119).
Ces quatre actions appellent les conjoints à la croissance, pour que le
mariage soit « l’icône de l’amour de Dieu » (n° 120-121) et le
processus dynamique d’une intégration progressive des dons de Dieu (n° 122).
Dans ce contexte, le mariage devient une vie en commun pour tout et en tout,
bien qu’il y ait des notes claires de la passion et de la souffrance pour
l’amour comme son couronnement (n° 123-130). L’on se marie, donc, par amour
pour une décision réelle mettant ensemble deux chemins en un seul (n° 131-132).
Ceci veut que l’amour construit sur l’amitié croisse entre les membres d’une
famille et, ce, dans un esprit de dialogue, par trois mots-clés :
permission, merci et excuse (n° 133-141).
Cependant, comment passer outre les sentiments et la sexualité, portés
par des passions (n° 142-146) ? Une pédagogie des renoncements et une
éducation de l’émotivité, de même que celle de l’instinct, s’imposent pour
surmonter l’excès, l’obsession (n° 147-149) et comprendre que la sexualité est
un don merveilleux de Dieu à ses créatures qui nécessite respect et non un mal
permis (n° 150-152). C’est ici qu’il convient de rappeler qu’à cause d’elle le
corps humain ne peut être manipulé comme un objet, ni dissimuler les diverses
formes de violence, d’abus ou de perversion (n° 153-157). Par ailleurs, la
virginité est aussi une forme d’amour, car elle a la valeur symbolique qui
n’éprouve pas la nécessité de posséder l’autre (n° 161-162).
-
La procréation : l’amour devient fécond (n°
165-198)
L’union des conjoints pour une société de vie caractérisée par un amour
croissant qui débouche au second objectif du mariage : la procréation. Cet
amour croissant se transforme en don de la vie par l’accueil d’un enfant (n°
165-167). Pour y arriver, la femme conçoit (n° 168-171) jusqu’à l’accueil d’une
nouvelle vie dans le couple.
Cette nouvelle présence invite les parents à des soins tant matériels que
spirituels, partant des actes du don personnel de chacun d’eux (n° 172). Ce qui
est différent de ces enfants orphelins ou de ceux pour qui les mamans oublient
leur responsabilité de mère, de même que les pères pris au piège par la société
de consommation (n° 173-177). Il y a aussi une fécondité élargie qui se
manifeste par l’adoption (n° 178- 182) et l’accueil des pauvres pour un témoignage
de fraternité (n° 183-186), sans passer outre les personnes âgées, porteuses de
la mémoire historique (n° 187-193). Ainsi, le vivre-ensemble aide à approfondir
les liens de fraternité entre toutes les personnes qui composent la famille (n°
194-198).
-
Education des enfants : Renforcer l’éducation des
enfants (n° 259-290)
Au regard d’une pastorale attentive d’accompagnement des mariés, la famille
est ce lieu qui regorge d’enfants. Ces derniers ont droit à la protection et à
une bonne orientation par les parents, bien qu’ils échappent des fois au
contrôle. L’éducation comporte la tâche de promouvoir des libertés responsables
(n° 260-262). L’école l’assure, mais ne remplace pas la famille qui est la
première école des valeurs humaines (n° 263-274). Concernant les jeux électroniques :
« il ne s’agit pas d’empêcher les enfants de jouer avec des dispositifs
électroniques, mais de trouver la manière de générer en eux la capacité de
faire des différences entre les diverses logiques et de ne pas appliquer la
vitesse digitale à tout milieu de vie » (n° 275). Il faut aussi former les
enfants à l’éducation sexuelle (n° 280-286), sans oublier la transmission de la
foi (n° 287-290). L’on comprend la signification profonde que l’Eglise accorde
à l’éducation des enfants pour parler de la procréation responsable que nous
réduisons, des fois, aux naissances désirables.
b. Une doctrine fondée sur la Tradition ecclésiale
Pour confirmer tout ce qui vient d’être dit sur la famille et le mariage,
le Pape recourt abondamment aux documents du Magistère comme ce regard posé sur Jésus pour
comprendre la vocation de la famille
(n° 58-88). C’est au troisième chapitre où se rencontre le résumé selon
l’apport de Jésus, de sa vie familiale et de sa parole (n° 61-66) et la manière dont elle a été
reçue par l’Église à travers les époques, particulièrement la nôtre (n°
68-70).
De différents éléments des
documents cités, l’on sait relever les valeurs de l’indissolubilité et du
caractère sacramentel du mariage (n° 71-75), de la transmission de la vie et de
l’éducation des enfants (n° 80-85), avec un regard positif sur les situations
imparfaites de cohabitation comme des semences du Verbe dans les autres
cultures[4] (n° 76-79). Et devant les
familles en situations difficiles ou blessées, il demande aux pasteurs
d’appliquer le principe général du bon discernement de la vérité dans la
charité[5], puisque « le degré de
responsabilité n’est pas le même dans tous les cas et il peut exister des
facteurs qui limitent la capacité de décision » (n° 79).
2.
Amoris Laetitia : Une pastorale contextuelle ou incarnée
Dans cette seconde démarche,
notre désir est de souligner l’originalité que l’on semble négliger par
beaucoup de théologiens. C’est le fait de prendre en considération l’expérience
de la vie dans la société contemporaine qui se définit par la postmodernité.
Période qui se caractérise par « la mort de Dieu » qui suppose
« la mort de l’homme », le relativisme, le présent liquide qui ne
considère pas le passé, ni le futur, l’exaltation de la liberté, l’individualisme,
l’hybridité et autres[6].
Les stigmates de la
postmodernité se laissent voir pour affecter l’institution famille et mariage
dans certains comportements : falsification de la famille dans ses
éléments naturels (institution incertaine, indéfinissable et modifiable selon
les cultures), familles monoparentales, les divorcés-remariés, les déviations
sexuelles… Toute cette réalité présente la fragilité humaine. L’Eglise, en tant
que Mère et Educatrice, ne peut pas les exclure en son sein, mais doit
pratiquer une pastorale d’accompagnement pour concrétiser la loi de la
gradualité et l’éthique de la miséricorde.
a. La famille et le mariage, une expérience de vie avec ses défis
Comme dit dans l’introduction de l’Exhortation, le Pape accomplit son
souhait en posant « les pieds sur terre » (n° 6) pour stigmatiser les défis qui
bousculent le mariage dans la société contemporaine. En effet, tout part de
l’exaltation de la liberté[7] (n° 32) et de l’individualisme
où le sujet se veut authentique à l’exemple d’un îlot pour éviter les sentiers
battus. Cela a pour conséquences : le faible taux des mariages pour un
nouveau style de vie (n°33).
Malgré ces insuffisances, le clergé doit proposer à la jeunesse le
mariage comme une valeur (n° 35). Avec humilité et réalisme, une autocritique
est nécessaire pour éviter ce dont nous nous plaignons aujourd’hui : la
procréation comme fin unitive et exclusive du mariage, le mauvais
accompagnement des couples dans les premières années et une présentation
théologique trop abstraite du mariage (n° 36) qui s’appuie résolument sur des
questions doctrinales, bioéthiques et morales, sans une ouverture à la grâce
(n° 38). La tâche essentielle du clergé est de former les consciences et non
prétendre se substituer à elles (n° 37).
Au-delà de cette incise propre au clergé, d’autres défis sont
désignés : la culture de la décadence agglutinée à la culture du
provisoire qui ne promeut pas l’amour et le don de soi ; la rapidité avec
laquelle les personnes passent d’une relation affective à une autre, à l’instar
de réseaux sociaux : se connecter, se déconnecter ou se bloquer selon
le consommateur ; la peur
d’engagement dans la durée par manque d’un logement décent (n° 44) ;
l’obsession du temps libre et les relations qui calculent les coûts et les
bénéfices et, enfin, la culture du rejet[8] (n° 39).
Par ailleurs, le mariage semble trop grand, sacré et exigeant des moyens
financiers conséquents ou être dérangé par des idéologies qui nient sa valeur
(n° 40). D’où, l’admiration d’une
affectivité narcissique et instable qui n’aide pas les sujets à atteindre la
maturité voulue, à cause de la pornographie et de la commercialisation du
corps (n° 41). Il en est de même de la mentalité antinataliste, soutenue par la
contraception, la stérilisation et l’avortement (n° 42). L’on sait voir, de nos
jours, les familles monoparentales en grand nombre, l’exploitation sexuelle des
enfants, la présence massive des enfants nés hors mariage (n° 45) et les migrations (n° 46). Mais,
reconnaissons que la culture actuelle a
le respect de la personne handicapée (n° 47) et âgée (n° 48). Il est, enfin,
d’autres défis non de moindre importance : l’oubli de la fonction
éducative (n° 50), la toxicomanie (n° 51), la polygamie (n° 53), la violence
envers les femmes (n° 54), l’absence prolongée du père (n° 55) et les abus de
la théorie du gender[9] (n° 56).
b. Parcours pastoraux : Quelques perspectives pastorales (n° 199-258)
De ce parcours qui montre les défis qui cassent la joie de l’amour
matrimonial, il importe une pastorale appropriée (n° 200), objet du sixième
chapitre, celle de l’accompagnement qui serait capable de donner une réponse
aux attentes les plus profondes de la personne humaine dans un monde sécularisé
(n° 201). La paroisse doit être, à cet effet, la route principale comme la famille
des familles. Atteindre un tel objectif nécessite une formation adéquate des
prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses jusqu’aux séminaristes,
catéchistes et autres agents pastoraux (n° 202-204).
En effet, l’accompagnement des fiancés jusqu’à la célébration du mariage
n’est pas la fin du parcours (n° 205-216), mais une démarche de la grâce divine
pour ne pas stagner, se corrompre ou se détériorer (n° 217-222). Bien qu’il y
ait un accompagnement dans les premières années, cela n’épargne pas les crises
(n° 231-240).
Cette démarche d’accompagnement concerne aussi bien les divorcés en vue
de valoriser la dignité et le bien des enfants (n° 241) de ceux qui vivent une
nouvelle union pour ne pas se sentir excommuniés de l’Eglise. Mais, ils seront
informés des procédures pour la nullité de mariage (n° 243-244). Dans cette
situation, les enfants ne peuvent pas être pris en otage (n° 245-246). Une
attention soutenue sera de même du côté de mariages mixtes ou avec disparité de
culte (n° 247-248). L’Eglise se soucie aussi des unions entre les personnes
homosexuelles (n° 250) et les familles monoparentales (n° 252). Sont évoquées,
enfin, les familles qui vivent un deuil et l’importance de se préparer à la
mort, sachant que la foi nous assure que le ressuscité ne nous abandonnera
jamais (n° 253-256).
c.
Loi de la gradualité et éthique
de la miséricorde : Accompagner, discerner et
intégrer la fragilité (n° 291-312)
Après avoir cerné ce que sont la famille et le mariage selon les
aspirations ecclésiales, Amoris Laetitia
reconnaît que l’Eglise est consciente de la fragilité et de la rupture du lien
matrimonial de nombreux de ses fils, en qui la grâce divine agit en leur
donnant le courage d’accomplir le bien dans leur communauté d’appartenance.
Avec la célébration de l’année de la miséricorde[10], l’Eglise doit s’inscrire dans
une démarche d’accompagnement de ses fils les plus fragiles, marqués par un
amour blessé et égaré, pour leur redonner confiance et espérance (n° 291).
De cette démarche annoncée, il se remarque une attitude de mise en valeur
d’une « morale de situation », des cas de conscience, appelée aussi
la casuistique, une spécialité des Jésuites et manifestement, un terrain favori
du Pape. Des cas rencontrés sur la fragilité humaine peuvent trouver le
soulagement dans la “gradualité en pastorale”[11], une notion déjà développée
par Jean-Paul II (n° 293-295), s’il est vrai que beaucoup de situations
pratiques soient loin de l’idéal. Ainsi, cela nécessite un discernement pour
les situations « appelées irrégulières » pour ne pas se tromper de
chemin en appliquant la logique de toute l’histoire de l’Eglise : exclure
et réintégrer. Pourtant, la route de l’Eglise, depuis le Concile de Jérusalem,
est celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration, non
celle de la condamnation éternelle.
L’Eglise est le lieu de la pédagogie divine (n° 296-297). Les divorcés
qui vivent une nouvelle union, par exemple, peuvent se trouver dans des
situations très diverses, qui ne doivent pas être cataloguées ou renfermées
dans des affirmations trop rigides (298). La logique de l’intégration est la
clé de leur accompagnement pastoral (299).
Compte tenu de la complexité des situations citées ci-haut, cette
exhortation ne voudrait pas donner la voie à une nouvelle législation générale
du genre canonique, applicable à tous les cas. Elle cherche à s’inscrire dans
un processus utile d’examen de conscience, grâce à des moments de réflexion et
repentir (n° 300), partant de la conversation et du dialogue comme base de
comportement. C’est dire que l’Eglise a une solide réflexion sur les
conditionnements et les circonstances atténuantes pour ceux qui sont dans une
« situation irrégulière », en ne considérant leur situation comme un
péché mortel, dépourvu de la grâce sanctifiante (n° 301). C’est pourquoi, un
jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur
l’imputabilité ou sur la culpabilité de la personne impliquée (n° 302-303). Et
saint Thomas d’Aquin nous dit que, quand on passe du général au particulier,
règne toujours une certaine indétermination (n° 304). Aussi, est-il possible
que, dans une situation objective de péché qui n’est pas subjectivement
coupable ou pas totalement, on puisse vivre dans la grâce de Dieu, on puisse
aimer et on puisse grandir dans la vie de grâce et de charité.
C’est ainsi qu’en croyant tout est blanc ou noir, parfois nous enfermons
le chemin de la grâce et de la croissance et nous décourageons des parcours de
sanctification (n° 305). Reconnaissons que dans n’importe quelle circonstance,
face à ceux qui ont de la difficulté à vivre pleinement la loi divine, doit
résonner l’invitation à parcourir la via caritatis. La charité
fraternelle est la première loi des chrétiens (n° 306). Au terme de tout, la
logique de la miséricorde pastorale est la voie de la charité envers ceux qui
sont dans la fragilité et dans le lien matrimonial irrégulier, sans renoncer à
leur proposer l’idéal complet du mariage (n° 307-312).
Conclusion
L’amour contemplé : une spiritualité
matrimoniale et familiale (n° 313-325)
Au terme de cette exhortation sur la famille, le Pape nous propose une
spiritualité conjugale et familiale qui se construira sur la communion
surnaturelle, à l’exemple de la Trinité (n° 313-314), pour que la présence du
Seigneur habite dans la famille réelle, avec toutes ses souffrances, ses
luttes, ses joies et son quotidien. Ceci ferait que la communion familiale bien
vécue soit le vrai chemin de la sanctification des époux dans la vie ordinaire
(n° 315-316). Et les moments de joie, le repos ou la fête, et aussi la
sexualité, sont expérimentés comme une participation à la vie pleine de la
résurrection du Christ par une vie de prière en famille (n° 317-318). Là, se
développera une spiritualité du soin, de la consolation et du stimulus (n° 321)
pour comprendre le sens de l’hospitalité (n° 324).
Ayons tous à l’esprit, dit le Pape : «Aucune famille n’est une
réalité parfaite et confectionnée une fois pour toutes, mais elle requiert un
développement graduel de sa propre capacité d’aimer ». Confions-nous à la
Sainte Famille (n° 325).
C’est pourquoi, selon nos
profondes convictions, la famille et le mariage s’originent en Dieu comme
fondement pour lui revenir dans un amour contemplé. Ces deux réalités ne sont
pas une invention humaine comme certains le croient dans la société
contemporaine, marquée par la sécularisation. Dieu en est l’auteur et
l’initiateur. L’homme n’est qu’un exécutant d’une telle volonté divine. Alors
personne, donc personne, ne peut changer ou présenter autrement cet ordre
naturel. D’où, l’Exhortation apostolique post-synodale Sur l’amour dans la famille.
Amoris Laetitia est une boucle pour que la vie matrimoniale et familiale
soit une joie contemplée pour l’homme et non un fardeau.
Abbé Elie TENGA
GSI/Lubumbashi
[1] Cette vision de
l’Eglise domestique est presque mentionnée dans les épîtres de Paul où l’on
sait voir des rencontres communautaires se passaient dans des familles (Rm 16,
5 : chez un couple d’immigrants Priscille et Aquilas, aussi chez
Philologue et Julie, Nérée et sa sœur Olympas ; Phm 2 : chez Philémon
et Apphia).
Au Concile Vatican, c’est avec la
contribution de Mgr Pietro Fiordelli, évêque de Prato qu’a été introduite
l’expression «Eglise domestique » dans différents documents conciliaires.
Il convient de souligner que pendant son ministère sacerdotal, il s’est
considérablement engagé dans le Mouvement familial. Lire aussi Mgr Nestor
Ngoy dans la présentation de l’Eglise comme famille avec les trois fascicules :
Dieu est famille I, Dieu-famille crée l’être humain 2 et La déchéance de la famille humaine 3,
Kolwezi, Chondo, 2002.
[2] Une lecture
minutieuse de la Constitution pastorale
Gaudium et Spes. L’Eglise dans le monde ce temps laisse transparaître
l’idée du « péché » à côté de la « grâce divine » pour le
rachat de l’homme et de toute la création.
[3] Cf. CONCILE
VATICAN II, Constitution pastorale
Gaudium et Spes. Sur l’Eglise dans le monde ce temps, n° 47-52.
[4] Cf. CONCILE
VATICAN II, Ad Gentes, n° 11.
[5] Cf. JEAN-PAUL II, Familiaris Consortio. Sur les tâches de la
famille chrétienne, n° 84.
[6] Cf. P. ANDERSON, Les
origines de la postmodernité (trad. de l’anglais par Natacha Filippi et
Nicolas Vieillescazes), Paris, Les Pairies Ordinaires, 2010.
[7] Cf. Constitution pastorale Gaudium et Spes.
L’Eglise dans le monde ce temps, n° 36 ; JEAN-PAULII, Veritatis Splendor. Sur l’enseignement moral
de l’Eglise, n° 35.
[8] Cf. FRANCOIS, Exhortation Apostolique. Evangelii Gaudium.
Sur l’annonce de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui, n° 53.
[9] Cf. A.-P.
MARGEURITE, La mondialisation de la
révolution culturelle occidentale. Concepts-clefs, mécanismes opérationnels,
France, Nouvelle imprimerie Laballery, 2011.
[10] Cf. FRANCOIS, Misericordia
Vultus. Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la miséricorde, le 11
avril 2015. Sur cette question de la miséricorde, il importe de lire l’ouvrage
du Cardinal Walter Kasper, La
miséricorde. Notion fondamentale de l’Evangile. Clé de la vie chrétienne, Paris,
Les Béatitudes, 20153. JEAN-PAUL II, Veritatis Splendor. Sur l’enseignement moral de l’Eglise, n° 104.
Le Père Roger Burggraeve a approfondi cette notion avec le principe de minus bonum qui est le contraire de la
tendance proportionaliste avec le principe du minus malum.
[11] Cf. JEAN-PAUL II, Sur
les tâches de la famille chrétienne. Familiaris Consortio, n° 34. L’on peut
lire avec beaucoup d’intérêt pour approfondir cette notion A. YOU, La loi de la gradualité. Une nouveauté en
théologie morale ?, Paris, Lethieulleux, 1991. M. -J. HUGUENIN, La
morale de gradualité. La morale catholique à l’aune de la miséricorde divine dans Revue d’éthique et de
théologie morale 280 (2014), p. 75-100.
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