Réflexion sur l'exhortation apostolique Post-synodale: Amoris Laetitia

Présentation et originalité de l’exhortation apostolique[1] post-synodale : Amoris Laetitia. Sur l’amour dans la famille



[1] Texte des 2èmes Journées théologiques tenues du 6 au 7 avril 2017 sur "Le mariage et la famille comme don de Dieu qui invite à la joie de l'amour", à l’Institut de théologie saint François de Sales, Lubumbashi.

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Ratio et Fidei

Introduction

D’un regard subtil de l’intitulé de notre intervention, il se remarque une double démarche à entreprendre. D’une part, dégager l’intégrité doctrinale sur la famille et le mariage dans la présentation de l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia. Sur l’amour dans la famille, publiée le 19 mars 2016 en la solennité de saint Joseph et à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et, d’autre part, démontrer la pointe originale du Pape François avec l’expérience de vie qui s’inscrit dans la pastorale contextuelle et non évasive.

C’est ainsi que, pour rendre plus intelligible qu’opaque Amoris Laetitia, soyez-en rassurés, nous pensons regrouper certains chapitres pour relever l’intégrité doctrinale et la pastorale contextuelle :

Outre le premier chapitre : A la lumière de la Parole (n° 8-30) qui nous sert d’introduction pour asseoir le fondement de la famille et du mariage, l’intégrité doctrinale se structure autour de trois chapitres. Les quatrième et cinquième chapitres abordent les fins du mariage, dont la communauté de vie : l’amour dans le mariage (n° 89-164) et la procréation comme accueil d’une nouvelle vie : l’amour devient fécond (n° 165-198). Cette nouvelle vie exige une éducation responsable des conjoints qui se concrétise dans le septième chapitre : Renforcer l’éducation des enfants (n° 259-290). Pour confirmer la doctrine défendue, nous valoriserons le troisième chapitre qui reprend les enseignements du Magistère sur la famille et le mariage, intitulé : Le regard posé sur Jésus : la vocation de la famille (n° 58-88).

Afin d’arriver à une pastorale contextuelle et incarnée, Amoris Laetitia part de l’expérience de vie qui couvre le deuxième chapitre : la réalité et les défis de la famille (n° 31-57) pour que quelques perspectives pastorales (n° 199-258) nous soient proposées dans le sixième chapitre, afin d’accompagner, discerner et intégrer la fragilité (n° 291-312) qui est le huitième chapitre. Une telle fragilité qui se vit dans le mariage et dans la famille trouve sa réponse dans la contemplation. D’où une spiritualité conséquente, capable de retourner l’homme fragile à Dieu (n° 313-325).

1.     Amoris Laetitia : une intégrité doctrinale

Pour ne pas fonder un discours théologique avec des électrons libres, personne n’ignore que l’Ecriture Sainte est la Norma normans. Le Pape n’a pas dérogé à cette règle. C’est ainsi que, dès l’entame de l’Exhortation, il recourt aux jalons scripturaires pour dire que la famille et le mariage sont d’institution divine, donc une réalité sacrée. Ils ne peuvent se comprendre qu’A la lumière de la Parole (n° 8-30).

Dans un style allégorique, il emprunte l’image de deux maisons : l’une construite sur le roc et l’autre sur du sable (Cf. Mt 7, 24-27) pour concrétiser certaines situations. Et le psaume 128, chant proclamé dans la liturgie nuptiale juive que chrétienne, veut Dieu au centre de tout (n° 8). La maison sereine qui réalise ce dessein fondamental répond à l’invitation du Christ en Mt 19, 4.

Les deux premiers chapitres de la Genèse en font un écho percutant, lorsqu’ils décrivent l’image de la vie du couple humain comme ce couronnement du parallélisme explicatif : « image de Dieu » (n° 10). L’affirmation étincelante de Jean-Paul II : « Dieu est famille » a sa raison d’être. Ainsi, la famille n’est pas une réalité abstraite, mais « une œuvre artisanale » jusqu’à l’éclosion d’une Eglise domestique[1] (n° 15), capable d’une catéchèse pour la foi et d’une éducation des enfants (n° 16), qui se construit avec tendresse (n° 28), après s’être confronté à l’expérience du péché[2] (n° 19-21). Devant cette dure épreuve, la Parole de Dieu prend la place d’une compagne de voyage, pour essuyer les larmes des yeux (Cf. Ap 21, 4)  (n° 22).

a.       Joie de l’amour dans le mariage : communion de vie et procréation

Recourant à la théologie de la création, le Pape présente dans une suite logique les fins du mariage, contrairement à certaines positions antérieures : saint Augustin qui fonde le mariage sur la justice biologique des sexe, pour qui la procréation est le but principal et la communauté de vie, seconde finalité, pour relever la nature sociale de l’homme ; saint Thomas d’Aquin qui part de la loi naturelle générique comme étant la fin première en vue de conserver l’espèce et de la loi naturelle spécifique pour fonder une société de vie, au moyen de la raison. Disons aussi que la lettre encyclique Casti Connubii de Pie XI (31 décembre 1930) a reproduit la vision augustinienne des fins du mariage. Ceci est contraire à l’intuition du Concile Vatican II qui dispose les deux fins comme des équivalents[3].

-          La communauté de vie : l’amour dans le mariage (n° 89-164)

Amoris Laetitia nous retrempe dans la création où s’aperçoit la communauté de vie comme première démarche de l’amour dans le mariage. Le Pape prend « l’hymne à l’amour » de saint Paul (1 Cor 13, 4-7) dans une exégèse contextuelle pour nous découvrir certaines valeurs, pouvant permettre au quotidien de vivre dans la joie : la patience (n° 91-92), la serviabilité (n° 93-94), le rejet de l’envie (n° 95-96) et de l’arrogance (n° 97) pour la culture de l’humilité (n° 98), la courtoisie (n°99-100), le détachement (n° 101-102), l’agressivité (n° 103-104) qui proviendrait de nos mauvais sentiments pour être surmontés par le pardon (n° 105-108), se réjouir du bien de l’autre pour reconnaître sa dignité et valoriser ses capacités, grâce à ses œuvres bonnes (n° 109-110). Toutes ces valeurs évoquées traduisent la profondeur de l’amour matrimonial en quatre expressions verbales : excuser tout (n° 112-113), croire tout (n° 114-115), espérer tout (n° 116-117) et supporter tout (n° 118-119).

Ces quatre actions appellent les conjoints à la croissance, pour que le mariage soit « l’icône de l’amour de Dieu » (n° 120-121) et le processus dynamique d’une intégration progressive des dons de Dieu (n° 122). Dans ce contexte, le mariage devient une vie en commun pour tout et en tout, bien qu’il y ait des notes claires de la passion et de la souffrance pour l’amour comme son couronnement (n° 123-130). L’on se marie, donc, par amour pour une décision réelle mettant ensemble deux chemins en un seul (n° 131-132). Ceci veut que l’amour construit sur l’amitié croisse entre les membres d’une famille et, ce, dans un esprit de dialogue, par trois mots-clés : permission, merci et excuse (n° 133-141).

Cependant, comment passer outre les sentiments et la sexualité, portés par des passions (n° 142-146) ? Une pédagogie des renoncements et une éducation de l’émotivité, de même que celle de l’instinct, s’imposent pour surmonter l’excès, l’obsession (n° 147-149) et comprendre que la sexualité est un don merveilleux de Dieu à ses créatures qui nécessite respect et non un mal permis (n° 150-152). C’est ici qu’il convient de rappeler qu’à cause d’elle le corps humain ne peut être manipulé comme un objet, ni dissimuler les diverses formes de violence, d’abus ou de perversion (n° 153-157). Par ailleurs, la virginité est aussi une forme d’amour, car elle a la valeur symbolique qui n’éprouve pas la nécessité de posséder l’autre (n° 161-162).

-          La procréation : l’amour devient fécond (n° 165-198)

L’union des conjoints pour une société de vie caractérisée par un amour croissant qui débouche au second objectif du mariage : la procréation. Cet amour croissant se transforme en don de la vie par l’accueil d’un enfant (n° 165-167). Pour y arriver, la femme conçoit (n° 168-171) jusqu’à l’accueil d’une nouvelle vie dans le couple.

Cette nouvelle présence invite les parents à des soins tant matériels que spirituels, partant des actes du don personnel de chacun d’eux (n° 172). Ce qui est différent de ces enfants orphelins ou de ceux pour qui les mamans oublient leur responsabilité de mère, de même que les pères pris au piège par la société de consommation (n° 173-177). Il y a aussi une fécondité élargie qui se manifeste par l’adoption (n° 178- 182) et l’accueil des pauvres pour un témoignage de fraternité (n° 183-186), sans passer outre les personnes âgées, porteuses de la mémoire historique (n° 187-193). Ainsi, le vivre-ensemble aide à approfondir les liens de fraternité entre toutes les personnes qui composent la famille (n° 194-198).

-          Education des enfants : Renforcer l’éducation des enfants (n° 259-290)

Au regard d’une pastorale attentive d’accompagnement des mariés, la famille est ce lieu qui regorge d’enfants. Ces derniers ont droit à la protection et à une bonne orientation par les parents, bien qu’ils échappent des fois au contrôle. L’éducation comporte la tâche de promouvoir des libertés responsables (n° 260-262). L’école l’assure, mais ne remplace pas la famille qui est la première école des valeurs humaines (n° 263-274). Concernant les jeux électroniques : « il ne s’agit pas d’empêcher les enfants de jouer avec des dispositifs électroniques, mais de trouver la manière de générer en eux la capacité de faire des différences entre les diverses logiques et de ne pas appliquer la vitesse digitale à tout milieu de vie » (n° 275). Il faut aussi former les enfants à l’éducation sexuelle (n° 280-286), sans oublier la transmission de la foi (n° 287-290). L’on comprend la signification profonde que l’Eglise accorde à l’éducation des enfants pour parler de la procréation responsable que nous réduisons, des fois, aux naissances désirables.

b.       Une doctrine fondée sur la Tradition ecclésiale

Pour confirmer tout ce qui vient d’être dit sur la famille et le mariage, le Pape recourt abondamment aux documents du Magistère comme ce regard posé sur Jésus pour comprendre la vocation de la famille (n° 58-88). C’est au troisième chapitre où se rencontre le résumé selon l’apport de Jésus, de sa vie familiale et de sa parole  (n° 61-66) et la manière dont elle a été reçue par l’Église à travers les époques, particulièrement la nôtre (n° 68-70). 

De différents éléments des documents cités, l’on sait relever les valeurs de l’indissolubilité et du caractère sacramentel du mariage (n° 71-75), de la transmission de la vie et de l’éducation des enfants (n° 80-85), avec un regard positif sur les situations imparfaites de cohabitation comme des semences du Verbe dans les autres cultures[4] (n° 76-79). Et devant les familles en situations difficiles ou blessées, il demande aux pasteurs d’appliquer le principe général du bon discernement de la vérité dans la charité[5], puisque « le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas et il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision » (n° 79).

2.     Amoris Laetitia : Une pastorale contextuelle ou incarnée

Dans cette seconde démarche, notre désir est de souligner l’originalité que l’on semble négliger par beaucoup de théologiens. C’est le fait de prendre en considération l’expérience de la vie dans la société contemporaine qui se définit par la postmodernité. Période qui se caractérise par « la mort de Dieu » qui suppose « la mort de l’homme », le relativisme, le présent liquide qui ne considère pas le passé, ni le futur, l’exaltation de la liberté, l’individualisme, l’hybridité et autres[6].

Les stigmates de la postmodernité se laissent voir pour affecter l’institution famille et mariage dans certains comportements : falsification de la famille dans ses éléments naturels (institution incertaine, indéfinissable et modifiable selon les cultures), familles monoparentales, les divorcés-remariés, les déviations sexuelles… Toute cette réalité présente la fragilité humaine. L’Eglise, en tant que Mère et Educatrice, ne peut pas les exclure en son sein, mais doit pratiquer une pastorale d’accompagnement pour concrétiser la loi de la gradualité et l’éthique de la miséricorde.

a.       La famille et le mariage, une expérience de vie avec ses défis

Comme dit dans l’introduction de l’Exhortation, le Pape accomplit son souhait en posant « les pieds sur terre » (n° 6) pour stigmatiser les défis qui bousculent le mariage dans la société contemporaine. En effet, tout part de l’exaltation de la liberté[7] (n° 32) et de l’individualisme où le sujet se veut authentique à l’exemple d’un îlot pour éviter les sentiers battus. Cela a pour conséquences : le faible taux des mariages pour un nouveau style de vie (n°33). 

Malgré ces insuffisances, le clergé doit proposer à la jeunesse le mariage comme une valeur (n° 35). Avec humilité et réalisme, une autocritique est nécessaire pour éviter ce dont nous nous plaignons aujourd’hui : la procréation comme fin unitive et exclusive du mariage, le mauvais accompagnement des couples dans les premières années et une présentation théologique trop abstraite du mariage (n° 36) qui s’appuie résolument sur des questions doctrinales, bioéthiques et morales, sans une ouverture à la grâce (n° 38). La tâche essentielle du clergé est de former les consciences et non prétendre se substituer à elles (n° 37).

Au-delà de cette incise propre au clergé, d’autres défis sont désignés : la culture de la décadence agglutinée à la culture du provisoire qui ne promeut pas l’amour et le don de soi ; la rapidité avec laquelle les personnes passent d’une relation affective à une autre, à l’instar de réseaux sociaux : se connecter, se déconnecter ou se bloquer selon le consommateur ;  la peur d’engagement dans la durée par manque d’un logement décent (n° 44) ; l’obsession du temps libre et les relations qui calculent les coûts et les bénéfices et, enfin, la culture du rejet[8] (n° 39).

Par ailleurs, le mariage semble trop grand, sacré et exigeant des moyens financiers conséquents ou être dérangé par des idéologies qui nient sa valeur (n° 40). D’où,  l’admiration d’une affectivité narcissique et instable qui n’aide pas les sujets à atteindre la maturité voulue, à cause de la pornographie et de la commercialisation du corps (n° 41). Il en est de même de la mentalité antinataliste, soutenue par la contraception, la stérilisation et l’avortement (n° 42). L’on sait voir, de nos jours, les familles monoparentales en grand nombre, l’exploitation sexuelle des enfants, la présence massive des enfants nés hors mariage  (n° 45) et les migrations (n° 46). Mais, reconnaissons que  la culture actuelle a le respect de la personne handicapée (n° 47) et âgée (n° 48). Il est, enfin, d’autres défis non de moindre importance : l’oubli de la fonction éducative (n° 50), la toxicomanie (n° 51), la polygamie (n° 53), la violence envers les femmes (n° 54), l’absence prolongée du père (n° 55) et les abus de la théorie du gender[9] (n° 56).

b.       Parcours pastoraux : Quelques perspectives pastorales (n° 199-258)

De ce parcours qui montre les défis qui cassent la joie de l’amour matrimonial, il importe une pastorale appropriée (n° 200), objet du sixième chapitre, celle de l’accompagnement qui serait capable de donner une réponse aux attentes les plus profondes de la personne humaine dans un monde sécularisé (n° 201). La paroisse doit être, à cet effet, la route principale comme la famille des familles. Atteindre un tel objectif nécessite une formation adéquate des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses jusqu’aux séminaristes, catéchistes et autres agents pastoraux (n° 202-204).

En effet, l’accompagnement des fiancés jusqu’à la célébration du mariage n’est pas la fin du parcours (n° 205-216), mais une démarche de la grâce divine pour ne pas stagner, se corrompre ou se détériorer (n° 217-222). Bien qu’il y ait un accompagnement dans les premières années, cela n’épargne pas les crises (n° 231-240).

Cette démarche d’accompagnement concerne aussi bien les divorcés en vue de valoriser la dignité et le bien des enfants (n° 241) de ceux qui vivent une nouvelle union pour ne pas se sentir excommuniés de l’Eglise. Mais, ils seront informés des procédures pour la nullité de mariage (n° 243-244). Dans cette situation, les enfants ne peuvent pas être pris en otage (n° 245-246). Une attention soutenue sera de même du côté de mariages mixtes ou avec disparité de culte (n° 247-248). L’Eglise se soucie aussi des unions entre les personnes homosexuelles (n° 250) et les familles monoparentales (n° 252). Sont évoquées, enfin, les familles qui vivent un deuil et l’importance de se préparer à la mort, sachant que la foi nous assure que le ressuscité ne nous abandonnera jamais (n° 253-256).

c.        Loi de la gradualité et éthique de la miséricorde : Accompagner, discerner et   intégrer la fragilité (n° 291-312)

Après avoir cerné ce que sont la famille et le mariage selon les aspirations ecclésiales, Amoris Laetitia reconnaît que l’Eglise est consciente de la fragilité et de la rupture du lien matrimonial de nombreux de ses fils, en qui la grâce divine agit en leur donnant le courage d’accomplir le bien dans leur communauté d’appartenance. Avec la célébration de l’année de la miséricorde[10], l’Eglise doit s’inscrire dans une démarche d’accompagnement de ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, pour leur redonner confiance et espérance (n° 291).

De cette démarche annoncée, il se remarque une attitude de mise en valeur d’une « morale de situation », des cas de conscience, appelée aussi la casuistique, une spécialité des Jésuites et manifestement, un terrain favori du Pape. Des cas rencontrés sur la fragilité humaine peuvent trouver le soulagement dans la “gradualité en pastorale”[11], une notion déjà développée par Jean-Paul II (n° 293-295), s’il est vrai que beaucoup de situations pratiques soient loin de l’idéal. Ainsi, cela nécessite un discernement pour les situations « appelées irrégulières » pour ne pas se tromper de chemin en appliquant la logique de toute l’histoire de l’Eglise : exclure et réintégrer. Pourtant, la route de l’Eglise, depuis le Concile de Jérusalem, est celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration, non celle de la condamnation éternelle.  L’Eglise est le lieu de la pédagogie divine (n° 296-297). Les divorcés qui vivent une nouvelle union, par exemple, peuvent se trouver dans des situations très diverses, qui ne doivent pas être cataloguées ou renfermées dans des affirmations trop rigides (298). La logique de l’intégration est la clé de leur accompagnement pastoral (299).

Compte tenu de la complexité des situations citées ci-haut, cette exhortation ne voudrait pas donner la voie à une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas. Elle cherche à s’inscrire dans un processus utile d’examen de conscience, grâce à des moments de réflexion et repentir (n° 300), partant de la conversation et du dialogue comme base de comportement. C’est dire que l’Eglise a une solide réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes pour ceux qui sont dans une « situation irrégulière », en ne considérant leur situation comme un péché mortel, dépourvu de la grâce sanctifiante (n° 301). C’est pourquoi, un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou sur la culpabilité de la personne impliquée (n° 302-303). Et saint Thomas d’Aquin nous dit que, quand on passe du général au particulier, règne toujours une certaine indétermination (n° 304). Aussi, est-il possible que, dans une situation objective de péché qui n’est pas subjectivement coupable ou pas totalement, on puisse vivre dans la grâce de Dieu, on puisse aimer et on puisse grandir dans la vie de grâce et de charité.

C’est ainsi qu’en croyant tout est blanc ou noir, parfois nous enfermons le chemin de la grâce et de la croissance et nous décourageons des parcours de sanctification (n° 305). Reconnaissons que dans n’importe quelle circonstance, face à ceux qui ont de la difficulté à vivre pleinement la loi divine, doit résonner l’invitation à parcourir la via caritatis. La charité fraternelle est la première loi des chrétiens (n° 306). Au terme de tout, la logique de la miséricorde pastorale est la voie de la charité envers ceux qui sont dans la fragilité et dans le lien matrimonial irrégulier, sans renoncer à leur proposer l’idéal complet du mariage (n° 307-312).

Conclusion 

L’amour contemplé : une spiritualité matrimoniale et familiale (n° 313-325)

Au terme de cette exhortation sur la famille, le Pape nous propose une spiritualité conjugale et familiale qui se construira sur la communion surnaturelle, à l’exemple de la Trinité (n° 313-314), pour que la présence du Seigneur habite dans la famille réelle, avec toutes ses souffrances, ses luttes, ses joies et son quotidien. Ceci ferait que la communion familiale bien vécue soit le vrai chemin de la sanctification des époux dans la vie ordinaire (n° 315-316). Et les moments de joie, le repos ou la fête, et aussi la sexualité, sont expérimentés comme une participation à la vie pleine de la résurrection du Christ par une vie de prière en famille (n° 317-318). Là, se développera une spiritualité du soin, de la consolation et du stimulus (n° 321) pour comprendre le sens de l’hospitalité (n° 324).

Ayons tous à l’esprit, dit le Pape : «Aucune famille n’est une réalité parfaite et confectionnée une fois pour toutes, mais elle requiert un développement graduel de sa propre capacité d’aimer ». Confions-nous à la Sainte Famille (n° 325).

C’est pourquoi, selon nos profondes convictions, la famille et le mariage s’originent en Dieu comme fondement pour lui revenir dans un amour contemplé. Ces deux réalités ne sont pas une invention humaine comme certains le croient dans la société contemporaine, marquée par la sécularisation. Dieu en est l’auteur et l’initiateur. L’homme n’est qu’un exécutant d’une telle volonté divine. Alors personne, donc personne, ne peut changer ou présenter autrement cet ordre naturel. D’où, l’Exhortation apostolique post-synodale Sur l’amour dans la famille. Amoris Laetitia est une boucle pour que la vie matrimoniale et familiale soit une joie contemplée pour l’homme et non un fardeau.

Abbé Elie TENGA

GSI/Lubumbashi



[1] Cette vision de l’Eglise domestique est presque mentionnée dans les épîtres de Paul où l’on sait voir des rencontres communautaires se passaient dans des familles (Rm 16, 5 : chez un couple d’immigrants Priscille et Aquilas, aussi chez Philologue et Julie, Nérée et sa sœur Olympas ; Phm 2 : chez Philémon et Apphia).

Au Concile Vatican, c’est avec la contribution de Mgr Pietro Fiordelli, évêque de Prato qu’a été introduite l’expression «Eglise domestique » dans différents documents conciliaires. Il convient de souligner que pendant son ministère sacerdotal, il s’est considérablement engagé dans le Mouvement familial. Lire aussi Mgr Nestor Ngoy dans la présentation de l’Eglise comme famille avec les trois fascicules : Dieu est famille I, Dieu-famille crée l’être humain 2 et La déchéance de la famille humaine 3, Kolwezi, Chondo, 2002.

[2] Une lecture minutieuse de la Constitution pastorale Gaudium et Spes. L’Eglise dans le monde ce temps laisse transparaître l’idée du « péché » à côté de la « grâce divine » pour le rachat de l’homme et de toute la création.

[3] Cf. CONCILE VATICAN II, Constitution pastorale Gaudium et Spes. Sur l’Eglise dans le monde ce temps, n° 47-52.

[4] Cf. CONCILE VATICAN II, Ad Gentes, n° 11.

[5] Cf. JEAN-PAUL II, Familiaris Consortio. Sur les tâches de la famille chrétienne, n° 84.

[6] Cf. P. ANDERSON, Les origines de la postmodernité (trad. de l’anglais par Natacha Filippi et Nicolas Vieillescazes), Paris, Les Pairies Ordinaires, 2010.

[7] Cf. Constitution pastorale Gaudium et Spes. L’Eglise dans le monde ce temps, n° 36 ; JEAN-PAULII, Veritatis Splendor. Sur l’enseignement moral de l’Eglise, n° 35.

[8] Cf. FRANCOIS, Exhortation Apostolique. Evangelii Gaudium. Sur l’annonce de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui, n° 53.

[9] Cf. A.-P. MARGEURITE, La mondialisation de la révolution culturelle occidentale. Concepts-clefs, mécanismes opérationnels, France, Nouvelle imprimerie Laballery, 2011.

[10] Cf. FRANCOIS, Misericordia Vultus. Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la miséricorde, le 11 avril 2015. Sur cette question de la miséricorde, il importe de lire l’ouvrage du Cardinal Walter Kasper, La miséricorde. Notion fondamentale de l’Evangile. Clé de la vie chrétienne, Paris, Les Béatitudes, 20153. JEAN-PAUL II, Veritatis Splendor. Sur l’enseignement moral de l’Eglise, n° 104. Le Père Roger Burggraeve a approfondi cette notion avec le principe de minus bonum qui est le contraire de la tendance proportionaliste avec le principe du minus malum.

[11] Cf. JEAN-PAUL II, Sur les tâches de la famille chrétienne. Familiaris Consortio, n° 34. L’on peut lire avec beaucoup d’intérêt pour approfondir cette notion A. YOU, La loi de la gradualité. Une nouveauté en théologie morale ?, Paris, Lethieulleux, 1991. M. -J. HUGUENIN, La morale de gradualité. La morale catholique à l’aune de la miséricorde divine dans Revue d’éthique et de théologie morale  280 (2014), p. 75-100.

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